Cet article d'Olivier Hertel a été initialement publié sur le site web de Sciences et Avenir le 6 juillet 2018.
PERILS. Difficile, ces derniers temps, d’échapper à la mode de la sylvothérapie ou bain de forêt. Cette pratique qui consiste essentiellement à faire des câlins aux arbres, promet toutes les vertus aux citadins désireux de “se reconnecter avec la nature.” Mais attention, embrasser un feuillu ou un conifère n’est pas sans danger ! L’étreinte, surtout si elle est pratiquée en short et manches courtes, risque de tourner court tant les troncs abritent de nombreux périls irritants, urticants... voire mortels. “Les bûcherons savent, par exemple, que c’est une très mauvaise idée de serrer un chêne ou un charme. Leur écorce peut héberger une frullania, une mousse qui provoque de fortes démangeaisons pouvant s’étendre au-delà des zones du corps qui ont été touchées” explique Christophe Bouget, chercheur au laboratoire Écosystèmes forestiers EFNO de l’IRSTEA (Institut national de recherches en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) de Nogent-sur-Vernisson (Loiret). Cette bryophyte doit effectivement être redoutée car elle renferme le frullanolide, un allergène responsable de ce que les médecins appellent une dermatite de contact allergique.
Dans une publication de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), Marie-Noëlle Crépy, dermatologue à l’hôpital Cochin à Paris et à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Haut-de-Seine), répertorie d’ailleurs une multitude de ces substances allergènes pouvant provoquer le même type de réactions au contact des arbres. Certaines se trouvent aussi chez les lichens du genre Evernia, Parmelia, Cladonia ou encore Usnea, qui poussent notamment sur les troncs de chênes et produisent des acides très allergisants.
DEMANGEAISONS. Toujours parmi les épiphytes, c’est-à-dire ces espèces qui vivent à la surface des plantes, l’on trouve le sumac vénéneux (Toxicodendron radicans), une liane au nom évocateur très commune aux Etats-Unis et au Canada. Un simple contact avec ses feuilles, même à travers un tissu, provoque des démangeaisons très fortes. En cas d’exposition, les autorités de santé du Québec recommandent de très rapidement laver à l’eau froide les zones de la peau touchées, pour diluer au plus vite le poison contenu dans la sève. Sinon, c’est inflammation, enflures, cloques et démangeaisons assurées !
Dans les Antilles, c’est le mancenillier qui sème la terreur. Pas question de fraterniser ni même de toucher cet arbre, pourtant d’allure inoffensive et très commun sur les plages de Martinique et de Guadeloupe. Membre de la famille des Euphorbiaceae, il produit un latex extrêmement toxique qui lui vaut le surnom d’arbre de la mort. Partout où il est présent, les offices de tourisme recommandent de ne pas s’abriter sous ses branches en cas de pluie car le ruissellement de sa sève provoque à coup sûr des “brûlures”.
Un "bain de forêt" est aussi l’occasion de faire des rencontres inoubliables : avec une chenille processionnaire du pin par exemple. L’animal qui se nourrit des aiguilles de l’arbre, est pourvu le long de son corps de petites cavités dans lesquelles se trouvent d'innombrables et minuscules soies ou “poils” urticants. Hérissés de petits ardillons, ils sont difficiles à retirer s’ils se plantent sur la peau. Plus embêtant : les démangeaisons induisent une irrépressible envie de se gratter. Or, le grattage casse les soies et libère la thaumétopoéine, une toxine qui s'immisce dans l’organisme. La substance peut alors provoquer un œdème et - dans 2 à 3% des cas - un choc anaphylactique selon l’Inra, c'est-à-dire un choc allergique majeur pouvant engager le pronostic vital. “Lors de la procession, la chenille descend de l’arbre le long du tronc pour aller s’enterrer et se métamorphoser. Si elle est dérangée, si elle se sent menacée, elle libère ses poils urticants qui vont se planter sur la peau mais peuvent aussi se loger dans les yeux ou, encore plus grave, pénétrer les voies respiratoires. Quand cela arrive à un chien, il est souvent nécessaire de l'euthanasier” explique Christophe Bouget. Il est donc fortement déconseillé de coller son front sur l’écorce d’un pin tout en pratiquant des exercices respiratoires de méditation pour réduire son stress. Cet exercice pourrait virer au drame !
FRELONS. Toutefois, dans le genre mauvaises rencontres en sylvothérapie, il existe encore pire que la processionnaire. Enlacer un arbre pourvu d’anfractuosités creusées dans les parties mortes du tronc, c’est prendre le risque de réveiller... un nid de frelons. Or, dès qu’ils estiment leur nid menacé, les frelons n’hésitent pas à attaquer l’intrus, même si ses intentions sont pacifistes. La piqûre est très douloureuse car le dard, assez long, peut injecter le venin profondément, jusqu’à atteindre la circulation sanguine. L’expérience est d’autant plus désagréable que le nombre de piqûres risque d'être important, un même nid pouvant abriter plusieurs centaines d’individus. Mais c’est au Japon - d’où est justement originaire la sylvothérapie - que la confrontation avec une espèce endémique peut s’avérer fatale. En effet, chaque année, le frelon géant japonais (Vespa mandarinia japonica) tue plusieurs dizaines de personnes. Parmi eux, combien d’adeptes des câlins sylvestres ?
Si la sylvothérapie a déjà conquis le Japon, l’Europe et l’Amérique du Nord, elle n’est pas encore très en vogue en Afrique. Et c’est tant mieux, car plusieurs pays du continent abritent le mamba noir, l’un des serpents les plus dangereux de la planète. Or, ce tueur, de couleur grisâtre, a ses habitudes dans les arbres où il peut être confondu avec une branche. En cas de morsure, son venin se diffuse dans l’organisme, neutralisant le système nerveux et le coeur. Sans soins rapides, la victime meurt dans d’atroces souffrances et en quelques heures. Pour les amateurs d'exotisme, attention aussi au cocotier ! En effet, la chute d'une noix de coco appartient à la liste de ces événements communs susceptibles de rompre avec la douceur de vie sous les tropiques. Ce fruit solidement carapacé peut tomber de plus de 30 m de haut. Son poids, d'environ 1,5 kg, est équivalent à celui de deux boules de pétanque. S’il fait mouche, en général sur la tête, les dégâts sont considérables.
Moralité, avant d’enlacer un arbre, il convient de s’assurer qu’il est consentant !